jeudi, novembre 09, 2006

A l'abordage !

Visite improvisée...

Une visite dans les entrailles de la danse, c'est pas tous les jours qu'on peut se le permettre. Mais on a eu de la chance, c'était assez mal barré. Notre prof' d'archi contemporaine nous a gracieusement invités au festival du film de l'architecture et de l'espace urbain. En arrivant nous sommes priés de nous installer dans l'auditorium pour visionner un film de 147 minutes sur un thème ô combien passionnant : L'agonie de petits villages chinois qui se verront bientôt submergés par les eaux, suite à la construction du plus gros barrage hydroélectrique du monde sur le fleuve Yangzi Jiang... Pas forcément emballés mais avec toute la bonne volonté du monde, on se plonge dans le documentaire louangés par de nombreuses critiques et récompensés maintes fois dans divers festivals.

Au bout de cinq minutes, c'était insoutenable, des chinois qui parlaient et hurlaient en chinois à propos de choses chinoises qui n'avaient aucun rapport avec quelques urbanisme ou architecture que ce soit ! La prof s'éclipse, nous la suivons, je l'aurais suivie partout, et aveuglément, pour sortir de là. La Providence nous sourit, une organisatrice de l'évènement nous permet d'accompagner la prof pour aller visiter le flambant neuf centre chorégraphique d'Aix en Provence.


Nous voilà partis pour de grands espaces pensés, maîtrisés et agencés, tout ce que j'aime. Certes, le bâtiment s'accorde assez difficilement avec l'espace urbain, mais qu'importe, l'architecte, de nos jours a tellement de mal à s'exprimer librement alors laissons-là ces questions de rapport avec le terrain et d'espace environnant et délectons nous.

Une fois pénétré dans le bâtiment, il faut quelques secondes au visiteur pour comprendre ce qui lui arrive. Cette construction, tout de verre vêtue qui semble capter la lumière comme un aimant possède un rez-de-chaussée des plus sombres, seulement éclairé par des luminaires spécialement pensés pour l'occasion. Le mobilier a aussi été conçu dans le seul but d'aménager l'édifice. (Mention spécial pour la ligne de fauteuils-poufs amovibles qui s'emboîtent et se déboitent à l'infini pour le bon plaisir de nos postérieurs.) Nous sommes invités à évoluer au coeur du rez-de-chaussée où l'administration est installée et travaille d'arrache-pied pour mener le navire à bon port. Nous nous avançons lentement mais sûrement scrutant chaque détail dans ce Styx aux allures inquiétantes.

Au pied de l'escalier, on s'aperçoit à quel point la structure rejetée à l'extérieur est bien pensée. Elle court le long de la façade et vient encadrer les axes de circulation principaux : les escaliers. Les espaces intérieurs sont un immense plateau libre. Ils permettent d'agencer les salles grâce à des parois amovibles, ainsi les élèves de M. Preljocaj peuvent s'adonner à leurs voltiges, vols planés, tourneboulades et autres virevoltes...

La suite de la visite a trouvé son intérêt dans l'exploration des profondeurs du bâtiment. Avant d'accéder à la salle de spectacle, un vestibule aussi sombre qu'une cale de navire arbore un grand mur noir affichant un lé horizontale de tags. Il s'agit d'un mur de fondation existant que l'architecte a voulu conservé. Original mais tellement architectural et prévisible. La salle de spectacle - monochrome - est de taille moyenne, et peut accueillir 400 personnes. La scène offre une sensation de proximité ce qui ne peut que servir la danse contemporaine, certainement trop intellectuelle et trop lointaine pour les amateurs que nous sommes.

Une sombre visite qui a éclaircit ma journée, la prochaine étape sera la salle de spectacle du pays d'Aix ou p'têtre ben quelques autres merveilles d'architecture davantage classicisantes plus au nord...

Sur Le Même Bateau

samedi, novembre 04, 2006

Et la Couleur fut

S'y rendre pour la forme et revenir enchanté.

Si je n'y allais pas, franchement, la honte quoi ! Toute l'année ils nous ont bassinés avé' l'exposition de la décennie, celle qu'il ne fallait absolument pas manquer ! Alors parce que j'ai pu avoir un billet (merci Céline !), je m'y suis rendu le dernier jour. Avec l'espoir de pouvoir circuler tranquillement mais que nenni ! La billeterie, jointe par téléphone nous impose un horaire alors un rendez-vous est convenu : devant le musée à 16h30 en ce beau jour de septembre... Les formalités, nous voilà débarasser de nos effets personnels et on peut enfin pénétrer dans l'antre du Musée Granet.

Une fois le détecteur de métaux franchi et après avoir compris le cheminement que nous devions emprunter nous nous retrouvons dans une salle de taille moyenne eclairée d'une baie vitrée dans son angle nord-ouest. Outre les éclairages artificiels, cette percée de lumière embaume la pièce d'une aura particulière. Les cadres exposés se trouvent baignés dans une ambiance aérée toute étherienne. Ces cadres de bois massifs tranchent avec le blanc clinique des murs. Les oeuvres du rez-de-chaussée sont l'exposition permanente et le musée nous sert ici sur un plateau d'argent le savoir-faire des écoles flamande, hollandaise ou italienne. Qu'on me pardonne mais seul ici Pierre de Cortone a e les faveurs de ma pauvre mémoire embuée par ce tourbillon de couleurs.

Les deux salles suivantes qui nous conduisent à un modeste escalier, conservent des oeuvres au goût de Renaissance et laissent derrière elles le moyen-âge. Des personnages nous fixent de leurs regards centenaires et arborent fraises et autres vertugadins en tambour des plus raffinés.

Parcourir un musée ou comment traverser les âges sans effort.

L'escalier se pare de trois oeuvres transitoires et pas des moindres. Elles trônent fièrement et nous toisent de leur signature ô combien fameuse et dont elles peuvent être fières. Trois toiles de M. Ingres qui s'offrent comme pour s'excuser de nous avoir fait attendre et qui précèdent directement le pourquoi de notre venue... Le portrait de M. Granet, Jupiter et Thétis et une aquarelle qui laissent pantois tant la technique est maîtrisée et les contours si léchés. Si la direction avait pour but, en les suspendant ici-même, de nous accomoder au génie, c'est réussi... Mais si l'amorce de l'exposition est envoûtante, la suite n'en sera que plus fascinante et enchanteresse...

Pour être tout à fait franc, la disposition exacte des oeuvres et leur répartition dans les salles, je les ai un peu oubliées mais qu'importe ! L'essence même d'une exposition ce n'est point la composition spatiale (même si monsieur le conservateur du musée a dû se faire un tas de cheveux blancs), mais bien l'effet que les oeuvres provoquent sur le spectateur.

En revanche ce qui m'a frappé, c'est cette soudaine profusion de couleurs dans un endroit si neutre. C'est le propre d'un musée finalement : s'effacer pour laisser la part belle à l'oeuvre d'art...

Entrons dans le vif du sujet, la raison de notre venue, le coeur même du musée pendant ces quelques mois. Monsieur Paul Cézanne fait se déplacer les foules ! Une exposition pour commémorer le centenaire de sa mort. Quelle belle occasion que la mort d'un artiste pour montrer au public ce qui a fait de lui l'unique ! On aime ou on aime pas mais il faut reconnaître qu'il n'était pas que peintre mais bien presti... presdi... gi... ta...teur, enfin un magicien quoi. Un magicien de la couleur.

N'est-il pas le premier à ressentir cette couleur en tant que telle et sans se soucier de la forme. Oui, c'est un précurseur et les artistes d'avant-garde du XXe siècle reconnaîtront en lui leur maître à penser... et à voir. Ses croûtes lui vaudront de méchants mots, des menaces de mort et certains n'hésiteront pas à glisser les critiques véhémentes des journaux parisiens sous sa propre porte. Ces mêmes voisins retourneront leur veste à la fin de la vie du peintre quand celui-ci se verra enfin reconnu par ceux qui font l'art, là-haut dans la capitale.

Cette exposition est un vrai plaisir du début à la fin. Tout y est, ses brouillons, ses études, ses croquis, ses aquarelles, ses huiles tout ce qui a fait sa carrière. Des oeuvres venues des quatre coins de la planètes : Washington, New-York, Munich, Denver, Malibu ou encore St Petersbourg... Comment retranscrire avec des mots ce que ses toiles émanent. Au prime abord dubitatif, voire réticent j'ai hésité à me rendre à cette exposition, Cézanne me laissant parfois perplexe. Mais tout est si clair et limpide quand on se retrouve devant un paysage ou un portrait cézannien. Tout est là : les intentions, les émotions, les amours, les angoisses... Les crevasses, craquelures ou rehauts de couleurs entament un dialogue avec le visiteur et elles ont tant à dire...

Cézanne, à travers sa peinture, a fait résonner le chant des cigales dans le monde entier. Ce dernier a pu découvrir cette terre mauvre et ocre si particulière qui ne ressemble à rien d'autre. Cent ans plus tard, le XXIe et Aix siècle accueillent en leur sein plus de 400 000 visiteurs en quelques semaines. Seul bémol, des toiles fameuses descendues de leur cadre ont du retourner chez leur propriétaire pour d'obscures raisons.

Je me suis délecté de Cézanne comme on déguste un pot de Nutella : Tout doucement, on apprécie chaque cuillère et quand on y va petit à petit, l'écoeurement est impossible !

Cézanne Peint

Je crois boire un vin de Bohême [...]

Critique Partiale, Politique et Passionnée...

Trop longtemps, son oeuvre ne se résumait qu'à ces poèmes qui ont révolutionné le vers de la langue de Molière... Mais Charles Baudelaire n'est pas de ces hommes de lettre qui ne se cantonnent qu'à un seul domaine. Il eût été dommage qu'une plume aussi aiguisée et agile ne s'essaye pas à la critique d'art ! J'ai été contraint de lire un auteur qui ne me tentait guère : contre mon gré, j'ai donc entamé ce florilège de critiques rassemblées pour le bonheur du lecteur averti. Je me dois de faire mon mea culpa... Comment ai-je pu, jusque-là, me considérer étudiant en histoire de l'art, sans avoir lu un texte qui porte en lui les fondements modernes d'une vision de l'art ?

Rempli de parti pris, cet homme n'en est pas moins un des plus grands critiques d'art qui aient pu exister. Tellement de superlatifs pourraient le qualifier tant cet homme était l'excès personnifié sans son travail ! Le travail qui est d'ailleurs une de ces notions qu'il dit haïr, tout comme la procréation qu'il met dans le même panier. C'est pour cette raison qu'il va prôner les figures du Dandy - qui n'a dautre but que celui de parcourir nonchalemment la piste du bonheur - et de la Lesbienne - qui a bien d'autres chattes à fouetter que de se préoccuper d'enfantement - et c'est pourquoi ces modèles de vie vont lui servir dans la quête d'un idéal esthétique.

Sortir du lot et faire sa place au soleil...

Ce XIXe siècle est un vivier de boucs émissaires auxquels l'auteur va s'attaquer dans un souci de reconnaissance... Et pour ce faire il n'hésite pas à s'en prendre à des pointures tels Victor Hugo ou Horace Vernet. Est-ce qu'on peut penser l'écrivain prétentieux pour prétendre posséder la science infuse et ainsi décrier ces hommes chéris de tous ? On peut légitimement se poser la question mais il n'en est rien. Il se devait de passer par ce stratagème tant la littérature de cette époque a offert à ses contemporains un nombre incalculable d'hommes de plume.

Il a porté aux sommets un certain Eugène Delacroix dont il a fait un héros moderne et romantique pour tenter de dévoiler l'illusion d'un monde faussement comblé par le dieu progrès. La nature n'est plus salvatrice. Il faut rendre compte d'un aller simple vers un avenir noirci par l'idée que le retour vers un âge édenique est impossible. Le peintre va illustrer les idées profondément ancrées de son alter ego de lettre. Baudelaire va s'approprier l'oeuvre de Delacroix pour en faire un poète de la vie moderne et ainsi dénoncer ces dogmes qui aveuglent le peuple depuis trop longtemps.

J'ai dévoré ces quelques 500 pages et m'apprête à commencer les fleurs du mal qui ne me décevront pas, j'en suis sûr. Aborder ces poèmes qui cinglent et fouettent me fait saliver. Je n'aurai pas assez des quelques pauvres dizaines d'années qui me reste pour sonder l'esprit ô combien compliqué et passionnant de ce grand monsieur qui savait manier l'entre-deux-lignes comme personne. Je m'ordonne au moins de rattraper le temps perdu...

[...] Amer et vainqueur